Doodily

▬ Mum’s sick. She said she can’t get up. Gamin au regard brillant d’innocence et emprunt d’une douceur désarmante, Nohann a vu sa mère perdre ses forces, rongée par la Maladie pour ne pas dire la Mort et il ne pouvait qu’assister à ce sordide spectacle, impuissant. Sous son regard ignorant elle dépérissait d’un mal qu’aucun médecin n’était parvenu à soigner. Chaque jour elle devenait plus livide, plus faible et sa peau devenait translucide et ses lèvres sans couleur à l’instant de son regard cerné. Son père sombrait progressivement dans les bras malsains de la dépression et de l’alcool, s’abandonnant à ces vices cauchemardesques pour un enfant de quatre ans qui ne comprenait qu’une chose : maman et papa sont malades, mais pas moi. Bien que dégourdis pour son âge, le jeune McLadness ne pensait à rien d’atroce. Portant les œillères de l’enfance, s’extirpant à peine de l’âge bambin, il ne se doutait pas le moins du monde de ce qui pourrait s’ensuivre. Tout le monde s’attendait à ce que madame meurt et que monsieur sombre un peu plus mais il en alla différemment. Le 24 décembre, la veille de l’anniversaire de son enfant, James McLadness se tua en voiture en grillant un feu rouge. Ne portant pas sa ceinture de sécurité, il fut tué sur le coup et dès lors on se mit à boucher les oreilles de jeune garçon en inventant un mensonge de toute part. Dad is gone. Sa mère se rétablit rapidement comme si le mal qui avait planté ses griffes dans la matière visqueuse de son âme l’avait déserté pour aller sucer l’essence de quelqu’un d’autre. La vie revint en elle comme un souffle nouveau et ce fut comme une renaissance. Elle s’occupa de son fils comme jamais, ne faisant jamais preuve d’une grande affliction lorsqu’elle parlait de son défunt mari à ses amies, ce qui a toujours paru étrange bien que personne n’osa le souligner. Le garçon, de son deuxième prénom, Valentin, n’apprit la vérité que sept ans plus tard alors que sa génitrice entamait une nouvelle relation amoureuse avec un homme plus jeune qu’elle, déclenchant la jalousie de fils qu’elle devait délaisser pour passer plus de temps avec son enfant. Nohann n’a jamais vu cette relation d’un bon œil, préférant s’enfermer dans sa chambre plutôt que de rester devant ce qu’il appelait « le remake des feux de l’amour ».

DAIRY. 1, April, 1999
My dearest friend,
Chace is already at home and I hate him forever. I ain’t gonna live here, so I have to be nice with him because Mum loves him. It’s…yeurk. Cheesy. She says I belong to you at him but she promised me to be always here with me. She’s a liar. Dad wasn’t gone far far away. He’s just dead in a crash car, isn’t it? I’m sure. Mum lies. Chace lies. Everybody lies. What the fuck? Well…
Hem, yesterday I saw Andy… Woaw. Juste woaw.
Write soon.

▬ She’s my best friend, and I love her.
L’adolescence n’a rien eu de facile ou d’enviable, bien que Nohann resta serviable et gentil garçon quoi qu’un peu orgueilleux. Simple élève doué mais sans plus, il savait qu’il ne brillerait pas dans un métier tel que avocat ou dentiste et sa mère ne se berçait pas non plus d’illusion à son sujet mais placait toute sa confiance dans son talent de musicien. Très jeune il avait appris avec brio divers instruments, passionné de musique comme personne. Il savourait chacune écoute d’une bonne partition et acceptait même de donner des cours de guitare pour s’intégrer plus facilement au lycée car les autres trouvaient ça « cool » pour draguer les filles. Quoiqu’il en soit il maitrisait guitare, piano, flûte et d’excellentes bases dans ce domaine qui lui promettait un avenir là-dedans. Il aimait les berceuses au piano, aux grands damnes des filles les moins romantiques. Il parvenait toujours à s’éprendre à une de ces idiotes imbuvables qui le traînait dans la boue avant de le rejeter définitivement bien que son physique n’était pas celui du cliché adolescent boutonneux-fil de fer-incrusté-à-la-naissance. Son arrogance en attirait certaines même si c’était avant tout l’intérêt d’une relation purement physique qui les faisaient venir à lui et peu à peu désabusé il accepta les « coups d’un soir », « les flirts à court terme » et les « coucheries d’une soirée arrosée ». Peu à peu son passé se fondait dans la masse informe que devenait sa mémoire. Pourtant certains souvenirs restent aussi nets que s’ils étaient neufs.
Une brise légère souffla entre les arbres denses de la forêt où la semi obscurité dissimulait les branches qui auraient pu entraver Nohann. Quelques gouttes venaient à s’écraser sur ses épaules et son visage mais ce n’était dû qu’à l’agitation des branches qui jusqu’à présent avaient retenu une infime partie des pluies récentes. La lumière grise ne jour ne perçait pas le feuillage, lui offrant en quelques sortes un cocon dans lequel il pouvait laisser libre cours à ses sentiments les plus passionnés. La nuit recouvrait doucement les lieux, gagnant les plaines puis les sous bois et enfin les lieux où il se trouvait, l’obscurité galopant à sa rencontre comme un cheval fou de liberté. La brise se métamorphosa en Zéphyr puissant, mordant chaque parcelles de peau nuit, léchant sa gorge d’une langue râpeuse qui l’anesthésiait doucement alors qu’il continuait dans la même direction avec une idée fixe en tête.
Il se glissa dans la maison par la porte de derrière que Mme Stryder ne verrouillait jamais par les humides nuits d’été, malgré le vent. Une faible lumière était diffusé par une lampe posé sur une console en chêne et le son étouffé de la télévision parvenait jusqu’à lui. Il passa devant le salon sans un bruit, tendu à l’idée d’être pris sur le fait puis il monta quatre à quatre les marches en bois. Avec l’habitude, il avait appris à poser le pied sur l’endroit stratégique pour que le bois ne se plaigne pas et ne révèle pas sa présence illégale. Dormait-elle réellement ? Oui, sans doute. Nohann se glissa dans la chambre, refermant doucement la porte, ne pouvant effacer le sourire qui étirait ses lèvres. Andy. Il aimait venir là lorsque les jours s’étiraient à ne plus en finir et que l’irréel se distordait pour se confondre avec la réalité. Il retira doucement sa veste et s’assis dans le rocking-chair du fond de la pièce qu’il commençait à connaître par cœur à l’insu de la jeune fille. Peu à peu ses yeux se réhabituèrent à la pénombre et il pouvait discerner son visage assoupi dans un rayon pâle de la lune montante. Il allait bientôt devoir quitter le lycée pour rentrer dans ce qu’on appelle communément la vie active, et laisser seule là bas sa meilleure amie, bien contre son gré. Son cœur se serrait à chaque fois qu’il pensait à la fin des cours qui approchaient à grands pas puis l’élançait douloureusement lorsqu’il venait à se dire qu’il ne pourrait plus la voir autant qu’aujourd’hui. Cette peine devint alors une excellente excuse pour lui rendre visite alors qu’elle dormait, sans qu’elle n’en ait conscience et il finissait souvent par sombrer lui aussi dans le sommeil assis là, se réveillant aux premières lueurs de l’aube et s’engageait alors là une course folle avec le soleil levant pour rejoindre sa propre chambre avant que sa mère ne vint frapper pour le « réveiller et déjeuner ».
Il rejeta doucement la tête en arrière, dégageant sa gorge blanche, et ferma progressivement les yeux alors que quelques pensées trop sentimentales venaient le tourmenter. Quelle était la frontière entre son affection abusive et sa facette plus désabusée. Tantôt amoureux à en perdre haleine, tantôt désillusionné, il jonglait entre alcool, cigarette et fascination cachée, trop dangereuse à révéler.
Il releva la tête à l’instant où elle bougea, sans doute agitée par un rêve. Il esquissa de nouveau un sourire et songea que jamais il ne pourrait se lasser d’être présent pour elle.

Cette promesse silencieuse reste gravée dans l’esprit du jeune McLadness sans qu’il n’en prenne conscience. Le second, plus marquant, et sans doute plus horrifiant, est celui du jour où il a retrouvé Andy au parvis de la mort alors qu’elle faisait une troisième tentative de suicide. La rage l’avait submergé de façon inexplicable puis cette dernière avait laissé place à une douleur inqualifiable dont il panse encore les plaies. Tout ça à cause de ces crétins qui lui brisent le cœur. Si seulement elle savait…