« ▬ Abraham Neville. »
« ▬ X Lockhart, en quoi puis-je vous être utile ? »
« ▬ Je suis chargé de la surveillance de l'évènement dont vous êtes le centre d'intérêt. »
« ▬ Bien, très bien. Que les choses soient claires, je ne tolèrerai aucunes perturbations de votre part, à vous et les autres gorilles qui vous sert de collègues, durant le spectacle. »
« ▬ Très bien, ne vous en faîte pas pour ça. »

Un peu rude comme première rencontre, et quand on insiste pour dire que la première impression que l'on donne est celle qui nous suivra à vie, autant vous avouer qu'Abraham ne gardera jamais un bon souvenir de ce premier échange avec X Lockhart, l'un des danseurs les plus enviés de Brodway en passage à Londres pour une représentation exclusive de son dernier ballet. Jeune garçon d'une vingtaine d'année, il avait derrière lui un parcours hors du commun qui laissait admiratif et pourtant, lorsqu'on faisait face à ce gamin arrogant pourri par une vie dont personne n'oserait rêver, il fut difficile pour Abraham de garder son sérieux et de ne pas l'envoyer paître. La couverture de l'évènement était telle qu'on avait chargé la police de Londres de prendre la surveillance du théâtre dans lequel se produirait X. Pas étonnant donc qu'Abraham, alors à peine nommé officier de police général, se retrouve à la tête d'une équipe de débutant posté aux entrées de services d'un théâtre bondé.


« ▬ Monsieur Neville ? »
« ▬ Qui est à l'appareil ? »
« ▬ X Lockhart, j'ai un service à vous demander. »
« ▬ Je vous écoute »
« ▬ Je crois bien qu'il y a quelqu'un chez moi, je n'ose pas y retourner seul... »
« ▬ Je vous envoie une équipe de secours, donnez moi votre adresse, ils arriveront d'ici peu. »
« ▬ Non ! C'est vous dont j'ai besoin, absolument. Westminster, 59e, appartement 102. »

Sans avoir eu le temps de rajouter quoi que ce soit, la conversation fut coupée. Interrompu dans un élan de refus catégorique quant à cet entrevue avec un homme qu'il ne comptait jamais revoir, Abraham fut contraint de prendre sa patience à bout de bras et de se rendre sur place. Il était probable que X soit en danger et jamais il n'aurait pu se pardonner d'avoir laissé quelqu'un courir à sa perte juste pour une faute d'impression. Saisissant alors l'opportunité de retrouver X sous un meilleur aspect, il bondi dans sa voiture et conduit à toute vitesse en direction de Westminster. Lorsqu'il arriva sur les lieux, il ne retrouva personne sur le perron et encore moins sur le pas de la porte du numéro 102. Il se résigna à frapper à la porte lorsqu'un "Entrez !" distinct se fit entendre de l'intérieur. Suspicion oblige, Abraham foula le pas de la porte et découvrit alors X assis à une table, deux verres de vin posés en face de lui.

« ▬ Je suis conscient de ne pas vous avoir donné une bonne impression la dernière fois que nous nous sommes vus, monsieur Neville. Mais j'aimerai arrangé les choses entre nous, si vous le voulez bien ! Je vous ai sorti un excellent cru de 1987 dont, je suis sur, vous saurez apprécier la saveur sucrée. »

N'importe qui d'autre aurait refusé pareille mascarade mais à l'époque, Abraham sortait fraîchement d'un divorce et se rendait compte que son penchant pour les hommes devenait de moins en moins contrôlable. Voila comment tout commença entre eux.

La soirée avança, X se livra petit à petit. Enfant d'artistes, il avait passé son enfance entière sur les routes en compagnie de ses deux parents. Fils unique, il n'avait jamais eu d'attaches réelles sinon une amie avec qui il correspondait souvent et qui vivait sur Londres. Passionné par la danse dès son plus jeune âge, il ne fut donc pas étonné de voir son avenir se tracer tout simplement dans les plus grandes comédies musicales de New York à Los Angeles ; Cats, Hair, Starmania... Intègre, passionné et sensible, il découvrait à 15 ans son homosexualité qu'il accepta pleinement. Abordant le sujet avec ses parents, tout deux très ouverts d'esprits, il décida à 18 ans de s'installer à son propre compte à New York afin d'intégrer l'une des plus prestigieuse école de danse classique que le monde n'ait jamais porté. A 21 ans, il décroche son certificat de danseur professionnel et si tôt, les agents se l'arrachent. Fier et fort, il devient très vite la coqueluche des médias en Amérique et lorsque l'opportunité se présente de faire parti d'un gala sur Londres, il n'hésite pas à se montrer enthousiaste. Âgé alors de 23 ans, il s'installa tout d'abord chez son amie avec qui il avait continuer de correspondre avant de se trouver un coquet appartement à Westminster car tombé sous le charme de la ville. Quant à la suite, il rencontra Abraham à son gala, craqua littéralement sous le charme du policier et ne put résister à l'envie de le rappeler, de le revoir.

« ▬ Monsieur Neville ? »
« ▬ Oui, vous m'avez appelé. Que se passe-t-il ? Rien de grave ? »
« ▬ Tout dépend de votre point de vue sur la situation. Il nous a demandé de vous contacter vous en prétextant que vous étiez l'un des seuls amis qui lui restait encore. Pouvez-vous signer ces papiers à sa décharge ? »
« ▬ Comment va-t-il docteur ? Je veux savoir comment il va, ne me faites pas attendre plus longtemps. »
« ▬ Tout va bien, il respire. Mais même si l'accident aurait pu être plus grave et lui coûter la vie, il reste à un degré assez élevé. La colonne vertébrale a été gravement atteinte. Nous avons bien peur que votre ami ne soit contraint de reprendre le cours de sa vie dans une chaise roulante, tant la paralysie est importante au niveau du dos. »
« ▬ Oh mon dieu ! Où est-il ? »

La vie a ses hauts et ses bas. Et dès l'instant où cette dernière estime que vous avez atteint des sommets bien trop haut pour votre courte envergure, elle s'attèle à vous couper les jambes, vous ôtant ainsi tout espoir et toute envie. X était à l'apogée de sa gloire, jamais on avait vu autant d'espoir dans les mouvements d'un danseur aussi sensible et impliqué. Les portes du succès s'ouvraient les unes devant les autres face à lui et pourtant, la fatalité se risqua à les fermer. Un test, un examen, un obstacle, peu importe les mots, la douleur est présente tout aussi physique que psychique. Les yeux vides de toute expression, c'est démonté qu'il sorti de l'hôpital de Londres dans une chaise roulante, poussé par celui qui allait désormais le soutenir. Depuis leur première nuit, Abraham et X s'étaient considérablement rapprochés, jusqu'à la confidence d'un policier meurtri par un amour incompris. Une affection particulière entre ces deux êtres à la dérive qui n'hésitaient pas à s'apporter tendresse lorsqu'ils en avaient besoin. Une amitié spéciale qui se fortifia avec le temps et qui aurait pu mourir face à une telle épreuve. Loin d'abandonner ses amis dans le besoin, c'est avec une profonde conviction qu'Abraham installa X dans son appartement, rendant les clés de celui dans lequel son ami comptait se retrouver seul, à la dérive. Bien trop protecteur, il le prit sous son aile malgré la petite taille de son appartement. Partageant le lit, comme un véritable couple, aujourd'hui, Abraham s'occupe tendrement de son ami et voit naître en lui des sentiments de plus en plus forts et troublant. Quant à X, jamais il ne trouvera les mots pour remercier celui qui le porte à bout de bras. Et c'est tout naturellement qu'il tombera encore sous le charme non plus du policier, mais de l'être humain caché sous cette carapace.

« ▬ Oui, je le veux. »
« ▬ Oui, je le veux. »

C'est sur un baiser que l'union fut scellée. Mariage idyllique de deux enfants issus d'une bonne famille, ils avaient en commun pour se rencontrer, tout en commun pour se plaire et surtout, tout en commun pour finir devant cet autel et se dire oui à la vie et à la mort, pour le meilleur, tout comme le pire. Oui, ils étaient sûrement faits l'un pour l'autre, si seulement ils avaient eu le choix et le temps d'apprendre à se connaître. Millicent et Abraham s'étaient rencontrés par hasard dans la banque des Neville, et cette jeune femme, bien sous tout rapport, n'échappa pas aux yeux experts d'un père prêt à tout pour garder son patronyme intacte. Prenant les choses rapidement en main, il n'eut pas de peine à découvrir que la jeune Millicent était issue d'une des familles les plus riches de Londres, et qu'elle était actuellement étudiante dans une école de médecine à la haute réputation. Ainsi, il réussi sans peine à convaincre les parents de la jeune femme à unir son fils à leur fille pour rapprocher ainsi le compte en banque de leur deux familles respectives. Tout aura été très vite, Abraham, conscient d'être redevable envers ses parents après toutes ces dures années qu'il leur a fait vivre, concède à leur requête, quant à Milly, elle n'aura d'autre choix que de dire oui à son tour. Une union vite réglée, un sourire forcé servant à réconforter les gens présent à ce mariage, ils s'enfuient dans une limousine blanche en direction d'une lune de miel qui leur servira avant toute chose à se connaître un peu plus.


« ▬ Tu étais passé ou ? »
« ▬ Je bossais. »
« ▬ Tu me prends pour une gourde ou quoi ? »
« ▬ C'est quoi le problème encore ? »
« ▬ Le problème ? C'est toi, c'est tout ça, j'en peux plus de cette vie. »
« ▬ On est deux alors. »
« ▬ Où est-ce que tu vas ? Bon sang ! »
« ▬ J'préfère finir ma soirée avec un whisky qu'avec toi, désolé ! A plus tard »

Et des scènes comme ça, il s'en passait de plus en plus. A 27 ans, Abraham était déjà marié à une jeune femme de 26 ans, en début de carrière. Milly, quant à elle, venait de se faire diplômer de son école, imminent médecin, elle se fit très vite engager dans l'un des plus grands hôpitaux de Londres. Une vie qui aurait tout pour être parfaite, mais un seul point noir persiste. Entre elle et Abraham, l'entente ne passe pas. Ils se déchirent tous les jours, se crient dessus de plus en plus et malgré les 2 années passées à tenter de s'aimer comme deux personnes mariées devraient, rien n'y fait. Pour cette jeune femme qui n'a jamais connu le grand frisson du mot "amour", tout devient que mensonge et faux-semblants. Intimidée face à un homme, elle n'ose toujours pas franchir le pas de la relation sexuelle et Abraham, quant à lui, ne se sent pas attiré par elle pour le moins du monde. Un mariage qui tourne au vinaigre et qui ne cessera d'empirer avec les jours. Un avenir scellé entre les mains d'un homme qu'elle n'aime pas comme elle le devrait, elle s'emprisonne dans le travail pour oublier tout ça.


« ▬ J'en peux plus Milly... »
« ▬ Et moi donc. »
« ▬ J'ai beaucoup réfléchi ce soir. »
« ▬ A quel moment ? Avant ou après ton dixième verre de whisky ? »
« ▬ Je veux qu'on divorce. »
« ▬ Merci, Abraham ! »

La libération devenait imminente. Prenant enfin compte de la gravité du temps qu'ils avaient gâché à faire semblant de s'aimer plutôt que de trouver l'amou ailleurs, ils divorcent en bon termes. Aujourd'hui, ils se revoient souvent, 2 ans après avoir déposé les alliances sur la table du juge d'Etat. L'un comme l'autre ne regrette en rien de s'être séparé, même si pour leur deux familles, ce fut la fin des haricots. Indépendante à présent, Milly s'est reconstruite un chez-soi douillet à Londres, une routine coquette et recommence à sourire, à sortir. Enfin heureuse et épanouie, elle n'arrive pas à en vouloir à Abraham de lui avoir fait perdre 2 ans de son existence car consciente que lui aussi fut victime de pression. Après une enfance banale et sans soucis, une adolescence parfaite et une vie de famille exemplaire, Milly ne pouvait imaginer qu'elle devrait défendre son nom de famille par un mariage blanc et se battre durant tant de temps pour finalement divorcer. Une relation amicale qui leur convient à tous les deux et pour laquelle ils continuent de se battre car finalement, ils se sont rendus compte, l'un comme l'autre, qu'ils n'étaient pas fait pour être amoureux. Fini la mascarade !