"Aimer c'est faire tous les deux le même rêve." Si deux personnes font toutes les deux le rêve qu'elles sont ensemble, ça peut marcher. Mais si ces deux personnes font toutes les deux le rêve qu'elles s'enfuient. Ou, pire encore, si elles font toutes les deux le rêve qu'elles tuent l'autre. Cela voudra-t-il tout de même dire qu'elles s'aiment? Hmm, pas sûr. Pour la Saint Valentin, Corneille avait offert à sa bien-aimée Chrysalde un petit livre regroupant une infinité de proverbes sur l'amour. Assise seule à une table du Pacha, elle le feuilletait en attendant. Attendant qui? Attendant quoi? Abraham. Abraham Neville, un de ses meilleurs amis. Ils s'étaient donné rendez-vous ici, sur une idée de Chrysalde. Elle était arrivée en avance. C'était soit ça soit elle était en retard. La table occupée par la jeune femme et bientôt aussi par son ami, se situait au fond de la salle, dans un coin. Chrysalde avait toujours aimé les coins, allez savoir pourquoi. Seule dans son coin, une première tasse de café noir devant elle, elle lisait donc en patientant. Ses jambes étaient croisées. Sa robe légèrement remontée laissait entrevoir la cuisse sous un collant de couleur chair. Elle n'avait pas ôté sa grosse écharpe de laine qui serpentait autour de son cou. Peut-être le printemps commençait-il sa route, mais il n'était pas encore arrivé et les températures semblaient aimer la chair de poule sur la peau de leurs victimes. Son entrée dans le bar avait détourné de nombreux regards, surtout de la part de la clientèle masculine et à présent, Chrysalde faisait tout son possible pour ignorer le jeune homme assis à la table d'à côté et qui la zieutait depuis près de douze minutes. Il devait avoir dix-neuf ans, peut-être un peu plus. Sa facheuse manie de ne jamais porter de montre la força à chercher dans son sac son portable pour se mettre au courant de l'heure qu'il était. Abraham avait deux minutes de retard ce qui ne peut être vraiment considéré comme un retard. Un courant d'air s'engouffra dans la bar, la porte venait de s'ouvrir. Dans son encadrement un grand et bel homme faisait son entrée. Brun, l'air déterminé des gens qui savent ce qu'ils veulent, des épaules fortes sur lesquelles on peut s'appuyer ou même pleurer. Oui, Abraham venait de faire son entrée. Entrée remarquée. Il avait ce sourire dont il avait fait sa spécialité sur le visage et s'avancait d'un pas décidé vers le fond de la salle. Chrysalde sourit. Elle posa son livre et se leva. Quand il fut arrivé à sa hauteur ils se saluèrent puis s'assirent. Le jeune homme de dix-neuf de la table d'à côté avait singulièrement changé d'attitude. Son regard à présent posé sur Abraham était jaloux et aggressif. Chrysalde eut un petit rire.

c h r y s a l d e . - « Je suis on ne peut plus heureuse de te retrouver. L'endroit te va j'espère? J'avais pensé réserver au Dandy's mais... je me suis dit que ça n'allait pas le faire. »

Les deux jeunes gens eurent un sourire complice. Autrefois, Elmir aurait passé du bon temps en compagnie de ses plus proches amis au Dandy's. Seulement quelques petites choses avaient changé et ce club réservé aux gentlemen ne pouvait plus accepter Chrysalde. Quel dommage.